MUSE et Sphere, les deux nouveaux instruments installés au Very Large Telescope (VLT), sont des concentrés de technologies. « Nous avons fait plusieurs paris car au moment de lancer le projet beaucoup des composants dont nous avions besoin n'existaient pas ! », rappelle Jean-Luc Beuzit, responsable de Sphere à l'Institut de planétologie et d'astrophysique de Grenoble. Dix ans plus tard, le pari est en passe de réussir avec les premières lumières capturées début mai. « MUSE est un miracle technologique. L'alignement était quasi parfait dès le début ! », se souvient Ferdinando Patat, responsable des programmes d'observation du VLT.
Au cœur de ces instruments, la lumière est mise à rude épreuve par des technologies de pointe. Sphere a besoin, pour photographier un point sombre autour d'une étoile, « d'éteindre la lumière » de cette étoile. « C'est comme distinguer une bougie dans la lueur d'un phare à Marseille depuis Paris », décrit Thierry Fusco, de l’Onera. La planète visée brille en effet un million de fois moins que son soleil. Trois techniques et une caméra spéciale sont nécessaires. D’abord, l'optique adaptative est utilisée pour corriger les perturbations de l'atmosphère terrestre en déformant en plusieurs points un miroir. Dans Sphere, sur les 20 centimètres de diamètre de celui-ci, 1 377 points de déformation sont disposés, permettant de le faire bouger de quelques micromètres 1 200 fois par seconde. L’image floue devient plus nette.
Puis, un coronographe – sorte de masque – est ajouté au centre du faisceau pour éteindre l'étoile. « C'est comme si nous faisions se détruire entre eux les photons provenant de l'étoile, en épargnant ceux de la planète », ajoute Jean-François Sauvage, de l'Onera.
Enfin, des soustractions entre différentes fréquences, polarisations ou directions sont effectuées pour éliminer les derniers photons parasites. L'ensemble a aussi nécessité une caméra rapide, sensible à un seul photon (que l'entreprise française First Light Imaging développe pour contrôler en temps réel qu'aucun débris n'encombre les pistes d'atterrissage). Finalement, l’exoplanète apparaît comme un tout petit point sur l’image.
Même genre d'exploits du côté de MUSE. La lumière passe d'abord par un « dérotateur » pour faire en sorte que l'instrument suive les mouvements de la Terre sans être fixé au télescope, qui ne supporterait pas son poids. Puis le faisceau est découpé en 24 images (par une technique brevetée avec l'entreprise Winlight). Chacun de ses morceaux est à nouveau découpé en 48 parties, qui sont envoyées dans un spectrographe pour l'analyse de 4 000 longueurs d'onde. Au total, 24 spectrographes, refroidis à l'azote liquide à – 130 degrés Celsius, participent à la construction d'images grandes comme un 700e de la surface de la pleine lune.
La direction de deux des quatre nouveaux yeux du VLT par des Français n'est pas un hasard. « Il y a une école française de l'optique et plusieurs observatoires ont eu des Français à leur tête », constate Jean-Luc Beuzit. Sans remonter aux fameuses lois de l'optique de Descartes (lois de Snell pour les Anglo-Saxons), les Fresnel ou Fourier sont bien connus aussi pour leur apport à la discipline. La tradition s'est poursuivie avec l'optique adaptative, développée pour l'astronomie par Pierre Léna notamment. Ou l'interférométrie, autre technique installée au VLT ou à ALMA, qui doit beaucoup à Antoine Labeyrie.
La technique n'est pas le seul défi. Jean-Luc Beuzit et Roland Bacon (à la tête de MUSE) constatent que faire travailler autant de partenaires aux cultures différentes (des Allemands, des Néerlandais, des Suisses et des Français dans les deux cas) n'a pas toujours été facile. « J'ai dû organiser des semaines communes pour faire se rencontrer les différents ingénieurs », se souvient Roland Bacon.
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